Glaciers, parc national, décharges littorales… le plan du gouvernement peut-il enrayer l'érosion de la biodiversité en France ?

Publié le 27 novembre 2023 à 16h21

Source : JT 20h Semaine

La Première ministre Elisabeth Borne a présenté lundi matin la Stratégie nationale pour la biodiversité.
Ce texte, reporté plusieurs fois, vise à préserver l'environnement dans l'Hexagone et en Outre-Mer d'ici à 2030.
Parmi les rares mesures concrètes, il prévoit de faire disparaître les 94 décharges littorales.

Il a fallu attendre plus de deux ans, mais elle a fini par arriver. Et c'est Elisabeth Borne qui l'a présentée lundi matin : la nouvelle Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) fixe les grandes orientations de la France pour enrayer l'effondrement du vivant d'ici à 2030.  

Celle-ci se décline en quelques grands objectifs chiffrés : réduire de moitié la consommation d'espaces naturels agricoles et forestiers sur la décennie ; zéro artificialisation en 2050 ; passage de 4,2% de zones classées protection forte en 2023 à 10% en 2030 (et 5% en Méditerranée, dont 100% des herbiers de posidonie de Méditerranée) ; un milliard d'arbres adaptés "au climat futur" plantés d'ici à 2030 ; 100% des coraux protégés, dont la moitié "au moins en protection forte" ; 50.000 kilomètres de haies en plus sur la décennie ; 50.000 hectares de zones humides restaurées sur la même période et, enfin, un milliard d'euros supplémentaire par an dans le budget pour l'eau et la biodiversité (dès 2024).

Derrière ces chiffres, quelques éléments concrets.

Un nouveau parc national

Il faudra encore attendre un peu pour connaître la géographie précise du douzième parc national français. Seule certitude, déjà connue, il visera à protéger une zone humide. Sa localisation devrait être révélée au printemps. "Dix-huit sites potentiels ont été évalués et trois d'entre eux ont été retenus comme favorables (…) permettant de poursuivre les échanges sur le terrain avec les élus locaux", précise le gouvernement.

Les zones humides, entre la terre ferme et l'eau libre, rendent de nombreux services aux écosystèmes : elles favorisent le stockage de l'eau dans les nappes phréatiques, soutiennent les débits des cours d'eau, protègent les rivages de l'érosion et des tempêtes. Or, 50% de la surface des zones humides ont disparu entre 1960 et 1990.

Protéger les glaciers

Comme annoncé par Emmanuel Macron lors du sommet sur les pôles et les glaciers organisé à Paris début novembre, la totalité des glaciers français seront placés sous protection forte, contre seulement 60% aujourd'hui. En la matière, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a de nouveau rappelé la position française lundi matin : "La protection forte n'exclut pas, de fait, toutes les activités." 

Une définition qui fait débat, car elle n'est pas celle retenue par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), l'organisme qui établit les listes rouges des espèces menacées. L'UICN a défini six catégories d'aires protégées, qui vont de la protection la plus stricte avec la réserve naturelle "intégrale" uniquement dédiée à la recherche scientifique, sans aucune autre activité humaine, jusqu'à "l'aire protégée pour l'utilisation durable des ressources naturelles" où certaines activités peuvent être présentes. La catégorie française "protection forte" correspond donc à la catégorie de protection la plus faible de l'IUCN.

Sur ce point toutefois, une précision inédite : le gouvernement et les parties prenantes vont travailler à une liste d'activités exclues des zones classées en protection forte. Certains plaident pour l'exclusion des énergies renouvelables dans ces aires par exemples. "Il faut laisser le travail s'engager pour établir la liste de ces activités exclues", répond l'entourage de la secrétaire d'État chargée de la Biodiversité, Sarah el-Haïry. Mais dans tous les cas, celles-ci pourront toujours être déployées dans l'espace préservé si elles démontrent qu'elles n'ont pas d'impact important.

Parmi les activités possibles se pose la question de l'évolution des domaines skiables. La protection forte est-elle compatible avec, par exemple, la construction d'un troisième tronçon de téléphérique à La Grave, sur le glacier de la Girose ? Interrogé sur ce sujet précis début novembre, Christophe Béchu avait seulement souligné "la complexité" de ce type de dossiers lancés de longue date.

La Stratégie nationale de biodiversité prévoit aussi de protéger, à terme, les écosystèmes postglaciaires, ces lacs, zones humides ou forêts nés dans l'espace créé par la fonte des glaciers.

La fin des décharges littorales

L'État inscrit dans sa SNB la résorption des 94 décharges littorales d'ici à 2030. Objectif : lutter contre la pollution plastique en mer. Ce "plan national de résorption des décharges" est financé à hauteur de 30 millions par an, sur dix ans. Celles-ci seront réhabilitées et renaturalisées.

Trois sites pilotes ont été identifiés dès 2022 : Dollemard au Havre, Anse Charpentier à La Martinique, Fouras en Charente-Maritime.

D'ici à 2025, 50% des communes littorales seront par ailleurs engagées dans la démarche "plages sans plastique" pour atteindre 100% d’ici à 2030.

La fin de l'étalement urbain ?

Parmi les grands objectifs fixés par la SNB, celui de diviser par deux la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers d'ici à 2030. Concrètement, il s'agit de préserver 120.000 hectares par an. Deux territoires seront des "territoires pilotes de sobriété foncière" : Épernay Agglo Champagne et Agglo du pays de Dreux. 

Le but : "anticiper, repérer et expérimenter des alternatives à l'étalement urbain". À Dreux, des friches abandonnées sont reconverties pour d'autres usages. Et à Épernay, un atlas foncier des 47 communes a été réalisé pour hiérarchiser le potentiel foncier de chaque commune et diminuer l'étalement urbain sur les terrains agricoles.

Sensibiliser les plus jeunes

Enfin, le gouvernement mise sur la sensibilisation, objectif déjà visé avec le déploiement de "Mission Nature", le loto pour la biodiversité lancé en octobre - et qui a fait polémique.

Sur ce volet-là, Elisabeth Borne a annoncé lundi le déploiement, à l'horizon 2030, "de 10.000 services civiques pour la transition écologique, contre 500 seulement aujourd’hui". "Nous pensons aussi que la conscience écologique naît dès l’école", a-t-elle ajouté. "Pour sensibiliser les plus jeunes, nous voulons donc ouvrir 20.000 aires éducatives d'ici à 2030, contre 1000 aujourd’hui."

Parmi les autres sujets évoqués, la création de "Tracnat" en 2024 pour lutter contre le commerce illégal des ressources naturelles. Mais aussi l'organisation de 500 opérations coup de poing d'ici à 2025 contre les espèces exotiques envahissantes avec pour objectif de réduire d'ici à 2030 de 50% le taux d'établissement de ces espèces qui sont l'une des causes identifiées de perte de biodiversité. Ou encore la création d'un "réseau des villes arborées", sur le modèle des "villes fleuries".

Parmi les critiques, on trouve le sujet des subventions néfastes à la nature : la France dépense chaque année 10 milliards d'euros pour financer des projets qui accélèrent l'effondrement de la biodiversité. Sur ce point, le gouvernement se contente du lancement d'un groupe de travail interministériel en 2024 "pour élaborer un plan de réorientation ou de suppression des subventions néfastes à la biodiversité".  

Mais aussi, et bien sûr, la définition française et controversée de la "protection forte", en attendant de voir ce que donne l'établissement de la liste des activités exclues. Ou encore le peu, voire l'absence, de précision sur les "indicateurs de suivi" censés permettre de vérifier, au fil de l'eau, que la France est sur les rails. 

C'est d'ailleurs l'une des raisons que plusieurs structures consultées depuis trois mois recommandaient de donner un caractère réglementaire à la Stratégie nationale biodiversité, traduisant ces objectifs par un décret ou un arrêté. Ce ne sera pas le cas. "La base légale pour donner une valeur réglementaire à la SNB n'existe pas", expliquait déjà courant octobre le cabinet de Sarah el-Haïry. 


Marianne ENAULT

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