Pourquoi des associations sont contre des lâchers d'oiseaux dans les Vosges

Publié le 29 avril 2024 à 13h51
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Source : JT 13h Semaine

Neuf grands tétras ont été relâchés vendredi dans les Vosges en vue de leur réintroduction en France.
Un événement autorisé par le tribunal administratif de Nancy, qui a rejeté un recours déposé en urgence par des associations.
Celles-ci dénoncent ce programme, arguant que les conditions ne sont pas réunies pour que ces gros oiseaux terrestres sauvages survivent.

Des associations qui s'opposent à la réintroduction d'animaux sauvages dans un massif ? Et qui vont jusqu'à déposer un recours en urgence pour l'empêcher ? La situation est assez rare pour être soulignée. D'autant qu'elles ont perdu leur première bataille judiciaire. Neuf grands tétras ont bel et bien été relâchés vendredi dans Parc naturel régional (PNR) des Ballons des Vosges. Et le tétras s'avère le plus gros oiseau terrestre sauvage d'Europe, également appelé coq de bruyère, reconnaissable à son excroissance rouge au-dessus de l'œil.

"Selon nos informations, il n'y aura pas d'autre lâcher cette année", précise Dominique Humbert, président de l'association SOS Massif des Vosges, l'une des structures ayant déposé le recours. Mais d'autres sont à venir.

Un projet à 200.000 euros

Le projet, lancé il y a deux ans, vise en effet à capturer en Norvège, pays qui compte 200.000 grands tétras, quarante oiseaux par an pendant cinq ans. Le budget total s'élève à 200.000 euros. Cet oiseau, emblématique du massif des Vosges, que l'on trouve aussi dans le Jura et les Pyrénées, connaît un fort déclin depuis cinquante ans. Dans les Vosges, la population est ainsi passée de 500 individus à la fin des années 1970 à quelques oiseaux recensés en 2023.

L'animal, qui a besoin de six mois de neige par an, subit les conséquences du changement climatique sur le massif, mais est aussi victime du dérangement engendré par les activités touristiques.

Ce qui nous importe, ce sont les oiseaux
La direction du Parc naturel régional des Ballons des Vosges

Le lâcher de neuf volatiles vendredi a été rendu possible par une ordonnance rendue en ce sens par le tribunal administratif de Nancy, qui a rejeté la demande de suspension de l'arrêté préfectoral autorisant ce projet. Le président du tribunal, Sébastien Davesne, avait relevé la veille une situation "au moins en apparence paradoxale" avec "des associations de défense des animaux qui s’opposent à la réintroduction" du grand tétras.

Les cinq associations ayant déposé ce recours en référé-suspension estiment que ce lâcher est coûteux, inutile et néfaste pour les oiseaux. Les détracteurs du projet jugent en effet qu'il s'agit d'une "opération de communication" de la part du parc naturel qui vise à "verdir" ses activités tout en renforçant le tourisme dans la région. 

Jointe par TF1 Info, la direction du parc n'a pas souhaité davantage commenter : "Ce qui nous importe, ce sont les oiseaux" qui ont besoin de "sérénité" justifiant donc "le silence".

Pour la justice, il n'y a pas "d'atteinte grave"

Dans son ordonnance, que TF1 a pu consulter, le juge estime que la requête des associations ne remplit pas de caractère urgent :  le lâcher n'est "pas susceptible de porter une atteinte suffisamment grave à la protection des oiseaux (...) eu égard au nombre très limité d'oiseaux", écrit-il notamment. 

Le magistrat relève également que cette opération a été conçue "par une équipe vétérinaire expérimentée", soulignant que "le taux de mortalité lors de telles opérations est faible". 

Pour lui, il n'est pas non plus établi que les lâchers induiraient des atteintes graves à l'environnement. Enfin, la justice a conclu que cette réintroduction répondait à "un motif d'intérêt général" de préservation de la biodiversité en "évitant la disparition prochaine de cette espèce dans ce massif". 

Des scientifiques contre cette réintroduction de l'oiseau dans les Vosges

Mais cette réintroduction permettra-t-elle vraiment d'empêcher ce destin funeste ? Les associations en doutent et elles ne sont pas les seules. En février 2023, le conseil scientifique régional du patrimoine naturel du Grand Est (CSRPN) et le Conseil national de protection de la nature ont rendu des avis défavorables au projet de réintroduction.

La consultation publique organisée par la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement a également conduit au même résultat, les avis recueillis étant majoritairement contre. 

À l'appui de leur position, les scientifiques considèrent qu'avec trois ou quatre oiseaux encore présents dans les Vosges, la population des grands tétras dans ce massif peut être considérée comme "virtuellement éteinte", s'interrogeant sur l'opportunité de réintroduire les volatiles alors que les pressions sur leurs habitats existent toujours. 

Celles-ci sont listées dans l'avis du CSRPN :  "changements climatiques, habitats favorables très insuffisants, fragmentation et rupture des corridors, dérangements humains, dérive génétique, pression de prédation et collisions avec des infrastructures type ligne HT, câbles remontés de ski et clôtures."

Malgré tout, la préfecture des Vosges avait donné un avis favorable au projet mi-avril. "Nous ne sommes pas opposés, évidemment, à la réintroduction du grand tétras, mais on ne peut pas réintroduire un animal sauvage dans un territoire d'où il vient de disparaitre pour des raisons qui sont liées à la dégradation de ce territoire", avait expliqué à l'époque Dominique Humbert.

Le dossier n'est pas clos : la justice administrative doit encore se prononcer sur le fond du dossier dans les mois qui viennent. D'ici là, les associations appellent à "un dialogue sur le fond" et à "une relecture critique du projet", le tout "sous la présidence d'une institution et/ou d'une personnalité incontestable".


Marianne ENAULT

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